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Darling Millie : “Les drags étaient en première ligne des luttes LGBTQI+”

“Quel meilleur message de bienvenue et de tolérance aux nouveaux et nouvelles étudiant·e·s que d’être accueilli·e·s par des drags ?” À l’occasion du focus sur la culture queer du mois de janvier à Rennes 2, rencontre avec une figure de la Campus Week incarnée par Mathieu Guiral de Broadway French.

Darling Millie
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Crédit : Broadway French

Qui incarne Darling Millie ?

Je m’appelle Mathieu Guiral, j’ai 34 ans et je suis metteur en scène. Né à Agen, j’ai passé 10 ans à Bordeaux et je me suis installé à Rennes il y a cinq ans, parce que j’y ai trouvé les gens super sympa et l’ambiance très chaleureuse. Je n’ai pas fait d’études de théâtre spécifiquement, j’ai surtout travaillé dans la culture en tant qu’animateur socio-culturel ou auxiliaire de vie scolaire auprès d’enfants en situation de handicap. C’est à force d’organiser des interventions d’artistes que j’ai eu envie de me lancer, et j’ai monté la compagnie Broadway French en arrivant en Bretagne.

Comment as-tu commencé à faire du drag et qu’est-ce qui t’a donné envie de faire ça ?

J’ai commencé en 2019 dans le cadre du projet Drag Me Out de L’Arène Théâtre, l’association étudiante de Rennes 2, c’est comme ça que je me suis infiltré à l’université [rires] ! Cela m’a permis de créer le personnage, chose que je n’aurais jamais osé faire seul dans ma chambre. C’était une envie de longue date : je suis parti du constat que j’ai un physique très androgyne ; comme je suis mince avec un visage fin, je peux avoir des traits dits féminins. Je chante depuis longtemps et j’avais eu envie de travailler la chanson Travesti de Starmania, donc j’avais déjà eu l’occasion de me maquiller, et en arrivant à Rennes j’ai rencontré une personne qui faisait du transformisme et qui m’a initié aux astuces de maquillage, à la façon dont on peut transformer un visage, etc. Donc c’est venu par petites touches et ce projet a été une bonne raison pour me lancer.

Peux-tu nous décrire le personnage de Darling Millie ?

C’est un personnage qui s’est créé en plusieurs vagues. D’abord, je l’ai pensée comme au théâtre en raison de ma formation classique : je lui ai donné des intentions, etc. Ce n’était pas une extension de moi-même au départ. Comme il y avait une différence de génération avec les autres membres du groupe, j’ai joué sur mon âge et tout de suite est venu le côté “maman” en plus d’un aspect très féminin. Darling Millie c’est la mère de famille des années 50, à l’américaine, très bon chic bon genre, qui sort d’une publicité et que l’on a tout de suite associée à Bree Van De Kamp [personnage de la série Desperate Housewives, ndlr] parce qu’elle est rousse. Comme c’est du drag il y a un twist, elle est gentille et souriante mais un peu au bord de la crise de nerfs aussi, très polie et sage dans l’apparence mais parfois trash, c’est ce qui est drôle. Je me suis aussi inspiré de personnalités comme Julie Andrews (Mary Poppins) pour l’humour british, et certaines chanteuses de Broadway, comme la très pétillante et un peu barrée Kristin Chenoweth. Darling Millie sort donc d’une comédie musicale des années 60, mais elle est adaptée au monde contemporain et toujours prête à s’éduquer. Dès le départ, le personnage avait un côté protecteur et maternel, qui est lié à ma façon de travailler et de collaborer avec les gens.

Peux-tu nous raconter, pour celles et ceux qui n’ont pas eu la chance de voir un show de Darling Millie, à quoi ça ressemble ?

C’est un show très musical. Et puis avec Broadway French, on avait vraiment envie de prendre en compte le public le plus possible, donc on a créé un cocon de bienveillance : l’ambiance est familiale, on met un point d'honneur à ce qu’il n’y ait pas de méchanceté, à être drôle autrement que par l'attaque. On est un peu la famille bizarre idéale [rires] ! Le public nous dit souvent qu’il a passé un moment très doux, ce qui nous fait plaisir.

Darling Millie sur scène
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C’est quoi l’esprit drag pour toi ? Est-ce que c’est uniquement du spectacle ?

Déjà, il y a autant de définitions du drag que de personnes, l’expérience avec cette forme d’art est subjective et propre à son histoire. La définition qui me parle le plus, c’est celle du drag king Lewis Raclette : c’est une performance de genre. Rien qu’avec ça, on a de quoi jouer et il n’y a pas de règles ; une drag peut être interprétée par une personne de genre féminin, masculin, queer, etc. Comme le drag est arrivé tardivement en France, on a eu le temps d’en voir les faiblesses et de corriger certaines choses pour que ce soit plus représentatif. Par exemple, on préfère “show drag” à “show de drag queens” parce qu’il n’y a pas que des queens à mettre en avant, même si elles ont été très médiatisées car elles étaient interprétées par des hommes - les biais de genre existent même dans la communauté queer. C’est un premier piège évité. L’aspect performatif et spectaculaire, c’est un autre élément important du drag. On joue au quotidien tous et toutes avec le genre, rien qu’en choisissant un vêtement, mais dans le drag il y a en plus une dimension festive, extravagante, volontairement exubérante, une touche de magie. Voilà, c’est ma définition du drag, mais j’en entendrais totalement une autre.

Est-ce que tu te définis toi-même comme queer ?

Oui dans l’absolu car je suis gay et je fais du drag, je joue avec les normes de genre dans mon métier, mais je me définis comme un vieux queer [rires]... La jeune génération est tellement avancée sur toutes ces réflexions, tellement riche. Je m’entoure de personnes plus jeunes et j'essaye de m'éduquer le mieux possible, pour continuer ma déconstruction de mec né en 88.

Mathieu Guiral
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Mathieu Guiral par Antoine Parou

Qu’est-ce que tu préfères dans le drag ?

C’est un cheminement. Dans un premier temps, ça a été libérateur de pouvoir faire ce que je voulais sur scène. J’ai une voix de contre-ténor, je peux monter très haut quand je chante - comme Mika ou John Foster de Bronski Beat -, donc peu de morceaux sont adaptés en dehors du répertoire d’opéra classique. J’ai toujours senti qu’il y avait une gêne de la part du public de voir un homme chanter des morceaux de femme. Finalement je suis allée en drag à un concours auquel j’avais l’habitude de participer et la réception a été incroyable ! Dans un deuxième temps, j’ai trouvé très récréatif de me déguiser, d’acheter des choses qu’on achète pas tous les jours. Et puis, après cette étape joyeuse, la conscience politique et historique m’a heurté de plein fouet. En me documentant, j’ai pris la mesure de cet héritage : les drags et les freaks étaient en première ligne des luttes LGBTQI+. Nous ne sommes pas des clowns, malgré tout le respect que j’ai pour eux [rires]... Programmer des drags dans un événement, ce n’est pas anodin parce qu’on porte un message, qu’on rappelle par petites touches à travers une phrase, un clin d'œil.

Quel est ce message ?

C’est un message politique, parce qu’on pose des questions sur les normes, et par la représentation des personnes queer qui renvoie à l’histoire de cette communauté : un·e drag n’est pas que drôle, pas juste là pour amuser la galerie, elle porte forcément en elle·lui quelque chose de brisé. Ce mois-ci, on a par exemple demandé à des lieux dans lesquels on performe de ne pas diffuser les matchs de la Coupe du monde de foot au Qatar [pays dont on connaît les violations des droits humains, ndlr]. C’est pour ça qu’on est content·e·s du choix de Rennes 2 de nous faire performer à la Campus Week : quel meilleur message de bienvenue et de tolérance aux nouveaux et nouvelles étudiant·e·s que d’être accueilli·e·s par des drags ?

Il y a de nombreux shows drag à Rennes en ce moment, est-ce qu’il existe une communauté ?

Pas vraiment, il y a autant de courants que de collectifs drags, chacun a son public et ses lieux de prédilection, mais on se connaît et il y a une bonne entente. Je dirais que ça dépend des villes, à Angers par exemple c’est plus collaboratif.

As-tu des recommandations culturelles pour nos lecteurs et lectrices ?

Le livre que je conseille à tout le monde, c’est Drag Queens - La folle histoire illustrée des vraies Queens - je l’ai offert à ma maman [rires] ! L’auteur, Simon Doonan, a vécu les années avant que le drag ne devienne mainstream ; il fait le portrait non exhaustif de plein de drags différent·e·s, ça se lit très facilement et c’est un bon moyen de découvrir le vocabulaire, il y a de super anecdotes et de belles photos. Je peux également conseiller un film très drôle et émouvant, Everybody's Talking About Jamie. C’est à l’origine une comédie musicale tirée d’une histoire vraie, sur un gamin de 16 ans qui veut aller à son bal de promo en drag. Il y a une dimension historique qui rappelle la violence du passé et que le drag ce n’est pas juste une émission de télé. Et là récemment est sorti Bros, une comédie romantique gay réalisée Nicholas Stoller, un homme gay dans la quarantaine qui a compris qu’il n’était plus le centre du monde [rires]. Le film n’a pas marché, et c’est dommage car le réalisateur a eu les moyens d’une grosse production et en a profité pour inclure des personnes sous représentées - trans, lesbiennes, noires, non binaires, etc. Le film permet d’être touché·e par d’autres histoires, et c’est très finement joué.

C’est l’instant promo : où peut-on vous retrouver, Darling Millie et toi ?

Vous pouvez me retrouver un jeudi sur deux de 19h à 20h sur C Lab dans l’émission Queer Me Out, pour une heure de focus sur la culture queer. Darling Millie sera sur scène les 22 et 23 mars, dans Darling Millie prend la cité, pour une soirée de concert à l'américaine avec un big band composé de 8 musicien·ne·s. Régulièrement à l’Uzine pour les musical quizz, tandis que Phoebus Fragonard se produit à La Part des Anges et Lady Sgust à L’Entre 2 à Angers.

Avec Broadway French et Iskis, nous avons en préparation un bal des merveilles, une soirée de rencontre avec de jeunes artistes queer à l’occasion du Mois des fiertés à Rennes.

Sinon en 2023… peut-être Darling Millie au festival d’Avignon ? Ou à l’Opéra de Rennes ? À suivre !

 

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